Évaluer ce qui compte dans les hôpitaux
La médecine de couloir – des civières où sont alités des patients malades dans les corridors des hôpitaux – est l’une des représentations les plus choquantes des pressions exercées sur le système de santé de l'Ontario de nos jours. Nous savons que l’équivalent d’environ dix grands hôpitaux de 400 lits sont remplis au maximum de leur capacité chaque jour par des patients qui n’avaient pas besoin du niveau de services que les hôpitaux sont conçus pour fournir. Ces patients attendent une place plus appropriée en soins de longue durée, de réadaptation, en services de soins à domicile et d’aide à la vie autonome.
S’attaquer à ces problèmes et à d’autres problèmes du système exige une évaluation exacte de leur portée et de leur envergure. Chaque système de soins de santé a besoin d’évaluer sa situation afin de s’améliorer et que les Ontariens sachent si le système se dirige dans la bonne direction et si leur argent est utilisé à sa pleine valeur.
Pour bien soutenir les priorités pour le système, il est important que ce que nous évaluons nous aide à définir nos préoccupations les plus urgentes et à concentrer nos efforts sur celles-ci. Il est également important de ne pas submerger les professionnels des soins de santé avec l’exigence fastidieuse d’évaluer à l’excès. Comme l’a écrit en 2016 le Dr Don Berwick, gourou de la qualité en santé, une évaluation excessive et obligatoire « est aussi déraisonnable et irresponsable que des soins de santé immodérés. » L’évaluation doit fournir des renseignements significatifs sur le rendement, afin que les fournisseurs puissent entamer le processus d’amélioration de la qualité le cas échéant.
L’Association des hôpitaux de l'Ontario et Qualité des services de santé Ontario collaborent pour mettre un frein à l’évaluation excessive et prioriser ce qui compte. L’objectif est d’assurer que l’investissement et les efforts pour mesurer et déclarer les indicateurs de rendement dans les hôpitaux favorisent de meilleurs résultats pour les patients et s’harmonisent avec la stratégie de l’Ontario pour le système de santé.
Selon la taille et le type d’établissement, les hauts dirigeants des hôpitaux de l’Ontario ont défini plus de 300 indicateurs qui atterrissent sur leurs bureaux de différents organismes, dans différents formats de rapport, de différents cycles et contenant parfois des indicateurs qui se chevauchent et qui utilisent différentes définitions. Ceci s’ajoute aux renseignements que l’hôpital peut choisir de recueillir de son propre chef pour gérer et améliorer les soins et les activités. Certains de ces indicateurs d’amélioration de la qualité constituent des dédoublements ou ne s’harmonisent pas entre eux. En outre, on demande aux hôpitaux de calculer individuellement et de transmettre des indicateurs alors qu’ils pourraient être surveillés plus efficacement de façon centralisée.
Lorsque nous avons demandé aux dirigeants des hôpitaux quels indicateurs étaient utiles parmi tous ceux déclarés pour gérer et améliorer la qualité, le nombre d’indicateurs a diminué du tiers environ. Cela ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas de lacunes (p. ex., ce qui compte vraiment pour les patients), mais cela a mis en lumière qu’il se faisait beaucoup d’évaluations et de rapports ayant clairement peu de valeur.
L’un des principaux enjeux que nous avons définis est que notre système a tendance à ajouter de nouvelles mesures, mais qu’il est réfractaire à retirer des mesures même lorsqu’elles ne sont pas activement utilisées pour prendre des décisions ou apporter des améliorations. Nous ne disposons pas de critères clairs concernant le moment où une mesure doit être modifiée ou retirée. Et même lorsque nous ajoutons des mesures, nous n’avons pas toujours un plan clair de la façon dont les données seront utilisées. Dans les pires cas, des données sont recueillies de façon routinière sans que personne ne les utilise ou ne les étudie.
En travaillant en étroite collaboration avec les hauts dirigeants des hôpitaux et du système, nous nous sommes engagés à ce qui suit :
1. Réduire de façon substantielle ce que nous évaluons actuellement dans les hôpitaux, en retirant les mesures comportant peu ou pas de valeur;
2. Revisiter ce que nous évaluons de façon routinière (c.-à-d., annuellement) pour veiller à ce que ces indicateurs continuent d’avoir de la valeur;
3. Lorsque nous ajoutons des mesures à propos du plan, faire preuve de beaucoup plus de rigueur concernant la façon dont elles seront utilisées;
4. Faire la distinction entre ce qui est suffisamment important pour être déclaré publiquement par rapport à ce qui est une priorité moins grande, mais devant quand même faire l'objet d’une surveillance et par rapport à une mesure de faible valeur qui devrait être retirée.
5. Recommander un système centralisé où le rendement des indicateurs est surveillé et communiqué aux fournisseurs ou aux intervenants lorsqu’un problème est signalé.
Un accent mis sur un nombre plus restreint de mesures exige nécessairement plus de rigueur. Il nous force à faire d’importants choix au niveau de chaque hôpital et du système et nous fait reconnaître qu’il est possible de concrétiser l’amélioration en se concentrant sur l’essentiel. Le dur travail d’amélioration de la qualité ne constitue pas une mesure. Il représente les mesures progressives et itératives que prennent les professionnels des soins de santé de première ligne pour améliorer les soins des patients. L’évaluation est essentielle pour savoir si ces améliorations font une différence. Mais une évaluation excessive peut détourner inutilement du dur travail d’amélioration.
L’évaluation a toujours constitué un élément essentiel de l’offre de soins de qualité, et à mesure que l’Ontario entame une restructuration de la prestation des soins, il est clair que les hôpitaux de la province ont besoin de bien s’harmoniser pour évaluer ce qui importe.
Anna Greenberg est présidente et chef de la direction par intérim de Qualité des services de santé Ontario et Anthony Dale est président et chef de la direction de l’Association des hôpitaux de l'Ontario.